Est-ce qu’on peut reconstruire une société haïtienne en
continuant à rejeter l’essence de cette nation ? C’est le temps pour nous
de sortir le vodou du placard en partageant un extrait de la mémoire de Jean
Rosier DESCARDES, « DYNAMIQUE VODOU ET DROITS DE L’HOMME EN HAITI ».
Partons donc, si voulez a la découverte des fonctions et des commandements de
ce phénomène passionnant.
CHAPITRE II
DYNAMIQUE VODOU
ET
REGULATION SOCIALE
" Le Vodou est le système que les Haïtiens ont
mis au point pur faire face aux souffrances de cette vie, un système dont
l'objet est de minimiser la douleur, d'éviter les désastres, d'adoucir les
pertes, et de fortifier les survivants autant que l'instinct de
survie ". Dans ces conditions, le Vodou apporte une réponse
satisfaisante et des raisons de vivre à un peuple livré à lui-même. Pour
montrer comment la dynamique Vodou assure la régulation sociale, nous
traiterons de ses Commandements et de ses Fonctions.
A. - LES COMMANDEMENTS DU VODOU
Le souci majeur du Vodou est le bien-être des individus
et du groupe.
1. - La recherche de l'équilibre
Le Vodou prescrit une globalité fondamentale. Toutes les
forces de la nature sont liées. L'univers est un tout : chaque force de la
nature a une signification et une connexion avec les autres entités. La plante,
l'animal, le minéral et les personnes sont sacrés et doivent être traités en
conséquence. Cette unité de toute chose explique la place de la sainteté de la
vie. La perturbation de l'équilibre naturel doit être évité le plus possible.
L'homme doit vivre en parfaite communion avec la nature. Il doit respecter ses
semblables et se considérer en toute circonstance comme un maillon d'une grande
chaîne. Donc on ne peut toucher à l'un sans griser l'ensemble. Exister, c'est
renoncer à l'être individuel, particulier, compétitif, égoïste, agressif,
conquérant, pour vivre avec les autres dans la paix et l'harmonie avec eux, les
morts, l'environnement naturel et les esprits présents bien qu'invisibles.
Cette conception exige le respect de l'autre, de sa
sécurité, de sa santé et de l'intégrité de sa personne. De la même manière, les
animaux, les arbres, les sources, les rivières et la mer doivent être protégés.
2. - L'humanisme
La cosmogonie vodou place les humains au centre du monde
même s'ils ne sont pas ses créateurs. Le but ultime de cette religion est de
leur offrir les moyens de mener une existence terrestre décente. En implorant
les dieux, elle s'évertue à faire pleuvoir sur les hommes de riches pluies de
bénédictions pour leur garantir une santé robuste, la prospérité dans les
affaires, la protection contre les catastrophes naturelles ou l'invulnérabilité
face aux forces du mal.
Ainsi conçu, le Vodou interdit de mépriser les petits et
les pauvres. Les plus faibles sont assurés de bénéficier de la protection des
ancêtres. L'obligation de venir en aide aux personnes en nécessité est un
devoir pour le vodouisant. C'est ce qui explique que n'importe qui peut rentrer
et manger dans une congrégation Vodou. Les fidèles font régulièrement la
charité en apportant des repas, des vêtements aux pauvres qui mendient aux
abords des églises.
Le houngan ou la mambo n'a pas le droit de refuser des
soins à ceux qui n'ont pas les moyens de payer. Dans bien des cas, c'est le
houmfort qui se voit obligé d'acheter tout ce qui est nécessaire aux rituels de
la guérison.
" La connexion humaine est la règle dans la
vision haïtienne du monde : il y a suppression des histoires individuelles
de vie en faveur d'une personnalité collective de laquelle dérive l'énergie
globale du groupe. Les individus deviennent réels seulement à travers leurs
interactions avec les autres, et c'est précisément au cours de relations
responsives et responsables envers nos semblables que l'on développe un clair
et constant sens de notre moi intérieur et beaucoup de confiance en
soi ".
3. - Le communautarisme
La société haïtienne comme les communautés africaines est
profondément marquée par le communautarisme. Le Vodou veille au maintien des
liens qui unissent les membres de la communauté. Ainsi, on n'est pas seulement
comptable de ses actes individuels, mais nous sommes solidairement responsables
de nos semblables au risque de perturber l'équilibre du monde extérieur. Cette
solidarité s'exprime dans la sagesse populaire sous forme de proverbe. Par
exemple : " yon sèl dwot pa manje kalalou " (un seul
doigt ne peut pas manger du calalou) ou encore " main anpil chaj pa
lou " (beaucoup de mains rendent le fardeau léger). Ces proverbes
sont l'équivalent de notre devise nationale : " L'union fait la
force ".
Le Vodou travaille à l'affermissement d'une société
haïtienne essentiellement consensuelle. Il se veut le ciment qui consolide les
rapports entre les éléments de cette grande famille. La communauté ne se
réalise que par la participation créatrice de ceux qui le constituent et
l'homme ne s'épanouit que dans une communauté volontaire, ouverte à tous,
fraternelle et solidaire.
" Ignorer les responsabilités de famille,
mettre en danger les intérêts communs et négliger les loas sont de
sérieuses offenses morales qui peuvent provoquer la désapprobation du groupe et
mettre en danger l'attention et la protection offerte par les esprits. La
moralité dans le sens absolu ne peut jamais être placée au-dessus du bien-être
de la collectivité. Ce qui est moral est donc ce qui assure le bon
fonctionnement du groupe dans un environnement donné et qui respecte la valeur
et l'importance du collectif social et spirituel sur lequel repose aussi des
responsabilités économiques et matérielles ".
4. - Respect des aînés
En plus des préceptes juridiques de la religion Vodou
étudiés plus haut, il faut mentionner le respect et l'honneur dus aux aînés.
Les plus jeunes sont astreints à l'obligation de fournir
soin et assistance à tous les membres du groupe et en priorité aux personnes
âgées. Cela s'explique par le fait qu'elles sont plus proches du monde
invisible dans lequel elles ne vont pas tarder à passer. Ainsi, elles seront
des intermédiaires privilégiées du monde visible auprès du monde invisible. De
la même manière, les morts doivent être traités de façon convenable sous peine
de les voir se retourner contre les vivants dont ils se vengeront. Entre
l'inhumation et la levée de deuil, qui constitue en fait la phase la plus
importante des rites funéraires, un temps plus ou moins long est observé. En
fonction de l'importance du défunt, de son âge, de l'âge de ses fils, des
ressources dont on dispose, il faut sacrifier des bêtes et organiser de grandes
festivités.
La morale vodou estime que ne pas s'acquitter de ses
devoirs envers les personnes âgées et des morts entraîne une rupture
d'équilibre dans la vie de l'individu et peut avoir des conséquences néfastes
sur la famille du fautif et de toute la communauté à laquelle il appartient. De
plus, il faut toujours faire montre de générosité, de bienveillance et d'amour
envers les plus faibles et les plus démunis.
A ces principes, il faut ajouter des principes généraux
comme :
- défense
d'attenter à la vie d'autrui (rite Rada) ;
- défense
de boire certaines boissons, notamment le café, sans répandre par terre un
peu du contenu de son récipient à l'intention des morts (tous les
rites) ;
- défense
de manger l'igname avant d'en offrir la primeur aux dieux. Sinon le sol ne
se revitalisera point, et la production sera maigre, l'an à venir (tous
les rites) ;
- défense
de servir les dieux de la " main gauche " ou encore de
les servir des deux mains, c'est-à-dire défense aux prêtres de détourner
vers un but maléfique les forces spirituelles mises à leur disposition en
vue du Bien (rite Rada).
Tous les cas d'infraction à la loi sont soumis à un
tribunal qui n'est autre que le tribunal de l'opinion publique qui couvre de
ridicule celui qui ne se conforme pas à la norme du contrat social reconnue par
tous, ou l'abandonne au châtiment des puissances supra-naturelles pour avoir
enfreint un tabou religieux imposé pour la protection de la société.
B. - LES FONCTIONS DU VODOU
L'adhésion aux normes sociales, aux coutumes et à une
éthique commune dictée par la morale Vodou permet d'assurer la régulation
sociale et d'améliorer les conditions d'existence du plus grand nombre. Nous
allons le prouver en étudiant les fonctions du Vodou.
- -
Fonction éducative et ludique
La population haïtienne, le monde rural en particulier,
trouvent dans le Vodou, un espace d'éducation et de jeu. C'est le Vodou qui
assure l'éducation traditionnelle haïtienne par l'intégration harmonieuse de
l'individu dans le groupe social conformément au statut que lui assignent son
sexe, son rang de naissance ou la fonction sociale de ses parents. Au cours de
son éducation, l'enfant apprendra progressivement mais très précisément les
différents rôles sociaux qu'il devra remplir pendant sa vie d'adulte. La
connaissance de ce rôle lui permet de savoir comment se comporter dans la
plupart des cas avec autrui. Les enseignements ne cherchent pas à développer
des personnalités fortes et originales ; ils encouragent la conformité,
non la compétition, source de tensions dans l'existence du groupe. En dépit de
ce prudent conditionnement, des conflits se produisent. Pour les régler, la
sagesse vodou ne se réfère guère à des principes abstraits. Elle ne s'efforce
pas de rétablir un ordre idéal de droit, mais de trouver une solution
acceptable pour les opposants, et qui accorde à chacun d'eux une partie de ce
qu'il réclame. Restaurer une harmonie suffisante pour que tous puissent à
nouveau vivre et travailler ensemble est ce qui importe. Cette attitude exclut
les solutions extrêmes, les positions rigides, les normes absolues.
Privées d'électricité, de télévision, de cinéma, les
masses trouvent dans le Vodou la satisfaction à leur besoin de loisirs, de jeux
et de récréation. Il est possible d'envisager ces jeux comme le produit des
institutions pour la mise en scène des rapports sociaux.
2. - Fonction sociale et économique
Tous les grands événements qui marquent la vie humaine et
sociale sont fêtés avec faste dans le Vodou. Ces fêtes offrent à la famille
organisatrice le moyen de rehausser son prestige. En effet, faire un repas
c'est manifester sa richesse par la qualité et l'abondance des aliments que
l'on consomme et que l'on offre. Ces manifestations de la vie en société s'accompagnent
de déploiement de faste alimentaire où tout le monde vient se régaler, sans
discrimination. Les congrégations vodou organisent des konbits pour
l'exploitation de la terre. L'activité agricole étant sacrée, le travail et le
rite sont indissociables. Le geste rituel a au moins autant d'importance que le
geste technique et conditionne l'efficacité de celui-ci. Avant les semailles,
on fait offrande des grains aux dieux et aux ancêtres, comme on leur offrira
ensuite les prémices de la récolte avant que quiconque puisse la consommer.
Avant de prendre la route qui conduit au marché urbain,
on invoque les loas pour trouver la force et le courage de résister
aux difficultés de la route, de marcher la nuit sans être inquiété.
" En Haïti, les enfants et les vieillards en
difficulté ne sont pas pris en charge par le ministère des Affaires sociales.
Ils sont récupérés par les oumforts. C'est là qu'ils trouvent à manger, que les
enfants reçoivent une éducation. On ne voit pas les vieillards traîner, on ne
les envoie pas dans des maisons de retraite qui sont dépersonnalisées au
maximum. A la campagne, on s'occupe des vieillards. On ne les trouve pas en
train de mendier. En général, s'ils ne sont pas pris en charge par un proche
parent, ils sont assis quelque part dans un oumfort où l'on prend soin
d'eux ".
3. - Fonction thérapeutique
Le houngan est aussi un guérisseur. La cure qu'il offre
est un tout, ce qui a souvent conduit les observateurs à sous-estimer la part
de réalisme empirique qu'elle peut comporter. Mais ces soins reposent sur une
connaissance assez approfondie des propriétés de certaines substances végétales
surtout, mais également d'origine animale ou minérale. Lorsqu'on sait que le
monde rural est nettement défavorisé par rapport au monde urbain, que la
capitale dispose de plus de la moitié des hôpitaux du pays ou que la population
doit faire face à des problèmes cruciaux de santé, on peut comprendre le rôle
de la Dynamique Vodou dans le soulagement de la souffrance. En effet, tous les
houmforts sont en même temps des hôpitaux où la médecine traditionnelle supplée
à la carence de structures sanitaires adéquates. Là, l'aspect psychologique
devient très important dans un monde où la croyance au mauvais sort ou aux
maladies surnaturelles est très répandue.
Voici le témoignage d'une femme catholique convaincue
rapporté par un prêtre catholique :
" Tout à coup un de mes sept enfants tombe
malade. Je refuse d'aller consulter un bocor en dépit des conseils des voisins.
Mais trop sensible, je ne peux pas voir mourir mon enfant sans tenter une
chance de le sauver. Je suis allée voir le bocor. L'enfant est maintenant
rétabli. Depuis, je ne cesse de remercier Dieu d'avoir placé sur mon chemin un
habile guérisseur ".
4. - Fonction judiciaire
Le vodou exerce aussi une fonction judiciaire dans la
société haïtienne.
En effet, en Haïti, la justice est rendue de façon fort
partisane. Les jugements rendus par nos Cours et Tribunaux donnent souvent
raison au grand fabuliste français du XVIIe siècle qui écrivait dans
" Les Animaux malades de la peste " :
" Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou
noir ".
Donc, quand le peuple est victime d'abus de toutes
sortes : arrestations arbitraires, vénalité des juges, expropriations
injustifiées etc., il n'a pas d'autre choix que de se tourner vers ses dieux
vodou pour obtenir justice. Ainsi la Dynamique Vodou permet de contrebalancer
le pouvoir politique et judiciaire, de limiter l'arbitraire et de favoriser la
jouissance effective de certains droits plus en rapport avec les besoins
quotidiens de la population.
Rassurez-vous :Mon
intention n’est pas de vous convertir mais de vous présenter une autre manière de
voir le vodou.